Andreï Sobol
Écrit entre 1921 et 1922, Le Panopticum témoigne avec force d’une période fertile de la littérature russe, où le désir d’un monde nouveau put un temps s’exprimer à travers l’expérimentation, le jeu et la recherche formelle, loin des schémas attendus. Durant les premières années qui suivirent la révolution de 1917 en effet, une certaine liberté créatrice pouvait encore s’exprimer en Russie. Elle s’inscrivait dans un contexte littéraire plus large, où ceux qu’on appelait alors les «compagnons de route » — ces écrivains qui reconnaissaient la révolution, mais entendaient suivre leur propre voie artistique — étaient tolérés, voire défendus par certains dirigeants. Jusqu’à ce que l’idéologie prolétarienne s’impose, Congrès après Congrès, et aboutisse en 1932 au dogme du « réalisme socialiste », condamnant les écrivains à se conformer à l’idéologie du Parti.
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Le bruit du temps qu’en ce début du XXe siècle Andreï Sobol ne s’est pas contenté d’entendre au loin. En 1902, âgé d’à peine quatorze ans, il quitte le foyer familial et voyage à travers la Russie. Épris de justice, il embrasse bientôt la cause sioniste, puis celle du mouvement socialiste révolutionnaire, puis celle de la révolution… Et en paie le prix fort. Ainsi, en 1921, au moment où il commence à écrire Le Panopticum, l’écrivain a déjà derrière lui: trois années passées dans les prisons et bagnes tsaristes, une longue cavale menée à travers le pays jusqu’en Europe, six années d’exil dans différentes villes du Vieux Continent, une année de combat sur le front du Caucase, puis une autre sur celui de la révolution, une condamnation à mort ordonnée par les Blancs à laquelle il échappe de justesse, une arrestation par les bolcheviks suivie d’un nouveau séjour en prison… et ce ne sont là que les grandes lignes.
Idéaliste, Andreï Sobol n’a de cesse de chercher une cause juste, dans laquelle s’engager corps et âme. Une cause qui puisse l’arrimer dans cette Russie qui lui est chère. Mais de désillusion en désillusion, il n’y trouvera jamais sa place… En 1926, trois ans après avoir renoué par nécessité avec le pouvoir soviétique, et à la suite de deux tentatives de suicide commises en 1924 et 1925, le jeune écrivain met fin à ses jours.
Le Panopticum, écrit peu de temps avant que Sobol ne commence à sombrer, porte assurément l’empreinte de sa vie tumultueuse, charriant pêle-mêle, au travers de curieux personnages, les élans, les tourments et les espoirs brisés qui l’ont habité.
Fanchon Deligne
«Et la veille de Noël, jour de blizzard, de faim au ventre, de pénurie de viande, au milieu des sifflements rauques de la tempête, des cartes d’alimentation supprimées et des traîneaux chargés de betteraves gelées – les vivants se sont empressés de suivre les morts faits de plâtre et de cire.»
Andreï Sobol