Auto-parodie et prévention de crise
dans Le Temps

«En 1829, Alexandre Dumas père participait au dézinguage comique de ses pièces les plus tristes. Et c’était (presque) normal. C’est chez l’excellent Daniel Sangsue (Rencontre d’un excentrique et d’une parodie sur une table de dissection, paru en 2021 à La Baconnière) que je suis tombé sur une histoire pleine d’enseignements...» – à lire dans le Cabinet de curiosités de Philippe Simon

Le 11 février 1829 se donne à la Comédie-Française la première d’Henri III et sa cour, drame historique en cinq actes et en prose, de Dumas père, qui revient sur le destin du dernier des Valois, assassiné en 1589. C’est un succès, «l’événement littéraire le plus remarquable de cet hiver», louera Stendhal. Comme tout succès à l’époque, Henri III donnera rapidement lieu à une série de parodies plus ou moins burlesques: Cricri et ses mitrons, Le Brutal ou encore Le Duc de Frise ou Le Mouchoir criminel. Et puis celle-ci: La Cour du roi Pétaud. Jouée dès le 28 février de la même année au Théâtre du Vaudeville, elle est plutôt étonnante à nos yeux dans la mesure où Alexandre Dumas a lui-même participé à son écriture. On est donc là face à un cas d’auto-parodie, et Dumas s’en explique dans ses Mémoires: «Henri III, destiné d’avance à un grand succès ou tout au moins à un grand bruit, devait avoir sa parodie; pour faciliter l’exécution de cette œuvre importante, j’avais d’avance communiqué mon manuscrit à de Leuven et à Rousseau; puis, sur leur demande, j’avais collaboré de mon mieux à la pièce, qui reçut le titre du Roi Dagobert et sa cour» – le Mérovingien Dagobert est entre-temps devenu l’imaginaire Pétaud, la censure d’État craignant que le public ne voie dans la pièce une satire dirigée contre le roi Charles X.

Une bonne foi désarmante

Il faut noter cette formule: Henri III «devait avoir sa parodie». Alors que le détournement est aujourd’hui ressenti comme une moquerie, Daniel Sangsue explique qu’il était à l’époque à la fois la marque et la condition du succès d’une pièce – ce d’autant plus que la parodie peut ramener du public vers le texte source, et faire marcher la billetterie.

Cela dit, le phénomène particulier de l’auto-parodie n’allait pas forcément de soi, même dans les années 1820. Ainsi, dans L’Universel du 2 mars 1829, le critique maison reconnaît en effet qu’avec ce Roi Pétaud, «M. Dumas a signalé les défauts de son ouvrage avec une bonne foi qui désarme la critique tant elle lui donne raison.» Mais Le Corsaire du surlendemain, le 4 mars, n’était pas de cet avis: Dumas «[…] traiterait avec une légèreté caustique et dédaigneuse une pièce qui a été la matière de discussions […] animées […]? Non, je ne le crois pas, je ne le veux pas croire […] je suis donc persuadé que M. Alexandre Dumas n’est pour rien dans cette parodie […]» On ne veut jamais croire que les héros puissent rire d’eux-mêmes. Aujourd’hui encore?

 

18.02.2023

Daniel Sangsue

Professeur émérite, essayiste, critique littéraire et romancier, Daniel Sangsue est spécialiste de poétique et de littérature française du XIXe siècle et est l’auteur d’essais sur la parodie, l’excentricité, Stendhal et les fantômes.

Fiche auteur

Connexion

Mot de passe perdu ?

Créer un compte